LE JOURNALISME FRANCAIS A LA BOTTE DE SARKOZY? LA CROISADE ANTI-GREVES DE JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'impartialité et la compétence de certains puissants journalistes français devraient se mesurer à l'aune du vocabulaire qu'ils emploient. Notamment s'agissant de l'actualité sociale qu'ils prétendent commenter.
Presse libre ou porte-voix du gouvernement? Il faudrait choisir, comme y invite cette caricature!
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Les grèves et les manifestations se multiplient et vont se multiplier en cet automne 2007 en France:
-sur la question des régimes spéciaux de retraite parmi les cheminots et dans le secteur des transports
-sur la réforme des universités parmi les étudiants
-sur la réforme de la carte judiciaire parmi les magistrats
-sur la destruction du service public parmi les fonctionnaires.
En Allemagne, des grèves d'une grande ampleur historique ont été déclenchées dans le secteur des transports.
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La grève, un mode d'action et de lutte des travailleurs qui fait partie intégrante de l'histoire de la République française
Phénomène et mode d'action sociale intrinsèques à l'histoire du régime du gouvernement représentatif, en Europe, et de la République, en France, la grève est pourtant attaquée, piétinée et ridiculisée, dans son fondement même, par certains journalistes dits "politiques".
Ceux-ci sont censés apporter éclaircissements non partisans et analyses impartiales sur la situation du pays. Ils semblent avoir pourtant décidé de s'attaquer, sémantiquement, et en toute partialité, à cette notion même de grève, reconnue par la Constitution de la Ve République. Laquelle, rappelons-le au passage, pose en son article 1er que:
"La France est une République [...] sociale".
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Jean-Pierre Elkabbach est certainement la caricature la plus grossière, non seulement de l'archaïsme d'un certain journalisme français épuisé et encore englué dans les miasmes de la guerre froide, non seulement de sa mécompréhension ou de sa paresse intellectuelle à comprendre les problèmes socio-politiques du présent mais aussi, et c'est plus grave, d'une connivence idéologique, consciente ou inconsciente, avec le pouvoir en place, en l'occurence l'ancien maire de Neuilly-sur-Seine et actuel président M. Sarkozy.
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Lors d'une émission diffusée le 11 novmebre 2007 sur le service public audiovisuel, interrogeant Julien Dray, porte-parole du parti socialiste français, Jean-Pierre Elkabbach, a ainsi traité ce dernier et les grévistes d'"amis de Trotski", donc de "trotskistes"... A quoi bon? Nul ne le saura...
Julien Dray, conseiller spécial de la candidate du parti socialiste à la présidentielle de 2007, favorable à un élargissement de la gauche au centre, assimilé par M. Elkabbach à Léon Trotski, assassiné en 1940, communiste révolutionnaire antistalinien, est-ce bien raisonnable?
M. Elkabbach, après avoir assuré, "ici on essaye d'être impartiaux", de lancer à M. Dray, qui a été conseiller spécial d'une candidate socialiste à la présidentielle, favorable au rapprochement avec les centristes et ardent défenseur du dialogue social:
"vous citez Trotski, c'est un de vos amis j'ai compris", "c'est l'ami de beaucoup d'entre vous, même de ceux qui vont organiser les manifs".
Tout cela nous rappelle une formulation du passé, portant sur un autre sujet dans un autre contexte, mais que l'on pourrait aisément reformuler au sujet du traitement des mouvements sociaux par M. Elkabbach: "quand j'entends le mot "grève" je sors mon Trotski"!
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Qu'il soit favorable ou non aux grèves et aux manifestations, sur la forme comme sur le fond, quel journaliste impartial, connaissant le contexte juridique, social et politique français, se permettrait-il de qualifier implictement grévistes et manifestants de "trotskistes", instillant l'idée qu'ils agissent aujourd'hui en fonction d'une idéologie vieille de plus d'un siècle?
Alors que ces derniers usent d'un droit constitutionnel, inscrit dans le préambule de la Constitution de la IVe République de 1946. Que dit ce préambule, toujours en vigueur? Il dit, dès ces premiers articles, que:
-"art. 5. Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances.
-art. 6. Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix.
-art. 7. Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.
-art. 8. Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises".
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Si M. Elkabbach méconnaît ou méprise la Constitution, s'il ne connaît pas l'histoire des luttes sociales en France, s'il ignore que le mot "grève" date de l'Ancien Régime et que le droit de grève est reconnu dans ce pays depuis le Second Empire, s'il ne comprend pas que la poursuite des grèves actuelles est exigée par la base -constituée notamment de jeunes travailleurs défendant, sans a priori idéologique, les conditions dans lesquelles ils ont choisi leur métier et intégré leur travail- plus que par des chefs syndicaux prompts au dialogue -qui eux peuvent éventuellement être soupçonnés d'une jeunesse "trotskiste"-, qu'il se taise sur ces sujets.
Si pour lui le mot "grève" évoque immédiatement Léon Trotski, né en 1879 en Ukraine, alors que la loi autorisant "les coalitions ouvrières" en France date de 1864 et est le fruit de l'"ouverture" républicaine amorcée par l'empereur Napoléon III, qu'il abandonne ses références périmées.
Si M. Elkabbach est convaincu que le monde est encore, en 2007, divisé entre vilains communistes révolutionnaires internationalistes: les "trotskistes" et bons libéraux: le reste de la population, qu'il prenne sa retraite et surtout qu'il quitte le service public audiovisuel.
Manifestations d'étudiants inquiets pour leur avenir, peut-être exaspérants, jusqu'auboutistes mais loin d'être, dans leur majorité les "méchants trotskistes" en manque de révolution internationaliste que semble voir en eux M. Elkabbach?
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A moins que M. Elkabbach ne soit prêt à déclarer enfin en direct, à la télévision et à la radio, qu'il est en fait en croisade contre toute amorce de mouvement de grève menaçant le gouvernement nommé par l'ancien maire de Neuilly-sur-Seine et actuel président de la République, M. Sarkozy.
Ce qui clarifierait le débat, l'orientation de ses entretiens "politiques" et permettrait d'éviter l'emploi pavlovien de termes archaïques et volontairement polémiques pour enfin ouvrir de vraies réflexions sur la question sociale en France -et notamment sur le manque cruel de dialogue social dans ce pays.
Mais peut-être M. Elkabbach, soucieux de son éthique journalistique, devrait-il alors rendre sa carte de presse... Cruel dilemne...