LES "PEOPLE" AU POUVOIR SOUS LA PRESIDENCE SARKOZY... LE CAS DE RACHIDA DATI
Le président Sarkozy, ancien maire de Neuilly-sur-Seine, "ville-ghetto" pour les plus fortunés, ancien avocat d'affaires, dont le propre frère est connu à Wall Street pour ses frasques et son train de vie dément, ami des vedettes et des plus gros patrons, a fait basculer le sommet de l'Etat républicain dans le monde de la jet-set, des "pipoles" et des plus riches... Sur le fond comme sur la forme, à l'Elysée comme au gouvernement, la dignité des fonctions politiques s'en trouve largement entamée...
ARISTOTE
"La communauté formée par la cité
a pour fin les belles actions,
et non pas seulement la vie en société.
Et c'est pourquoi tous ceux qui sont
susceptibles d'apporter le plus à la
communauté ainsi conçue ont une part
plus grande à prendre dans la vie de
la cité que ceux qui [...] l'emportent
en richesse mais le cèdent en vertu."
"La Politique".
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LA SEPARATION DU POLITIQUE ET DU SHOW-BUSINESS, UN ENJEU DE LAICITE:
Le politique, depuis l'Antiquité grecque est centré sur la vie de la Cité, et, depuis la Rome antique sur le primat de la "chose publique" et de l'Etat, des magistrats et du peuple.
Le "monde des artistes" et le "star system", depuis la Vienne finissante et Hollywood, forment le monde fermé et aliéné des "génies", des "personnalités", des stars et des vedettes, focalisé sur l'image de leurs émois, de leur vie privée, intime, affective voire sexuelle.
La confusion des deux ordres, de la politique comme souci de la "chose publique", et du show-business, mis en scène par la société de consommation de l'image, symbolisant l'argent et l'opulence inaccessibles au peuple, est devenue la marque de fabrique et de vente de la présidence Sarkozy.
Sur fond de collusion avec le grand patronat mondialisé, il faut analyser ce phénomène politiquement, sans se contenter de déplorer la vulgarité envahissant et abaissant les fonctions d'Etat les plus hautes. Car il s'agit évidemment de la victoire d'un nouvel idéal, tournant autour de l'étalement des signes extérieurs de richesse, de l'affichage au Forum de la vie privée, du règne de l'image dans une civilisation où l'écrit, la raison et le politique reculent à grands pas.
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LA PRESIDENCE SARKOZY SOUS LE SIGNE DU SHOW-BUSINESS:
On pourrait évoquer ici le séjour à Malte de Nicolas Sarkozy, juste avant sa prise de fonction, sur le yacht prêté par un ami multimillionnaire, la composition d'un gouvernement selon des critères médiatiques, un "gouvernement de Mickey" estimait le journaliste Eric Zemmour, les affinités électives du nouveau président avec des grands patrons peu srupuleux de la chose publique, les premières vacances présidentielles aux Etats-Unis d'Amérique, dans une villa pour milliardaires, la mise en scène du divorce des Sarkozy et bien d'autres péripéties.
Le tout inspirant volontiers et à juste titre les caricaturistes de tous poils!
Le jogging ou le footing, preuves par l'image du culte du corps et de la force physique, de la vitalité et du dynamisme, pratiqués en public par les stars américaines, telle Madonna, et désormais par le président de la République française, Nicolas Sarkozy...
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Certains trouveront qu'il est plutôt rafraîchissant d'observer des responsables politiques, des femmes et des hommes d'Etat afficher cette désinvolture et ce "naturel" dans les magazines d'ordinaire destinés aux vedettes et toujours voués à vendre plus de papier, à faire plus de profit. Confondant la fonction et la personne, le "corps mystique" ou plutôt "symbolique" du "corps physique", ils se réjouiront de ce que les dirigeants politiques se targuent d'avoir une "vie privée", comme tout un chacun...
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LES LIMITES DE LA "PIPOLISATION" DU POLITIQUE, LE CAS RACHIDA DATI:
Pourtant, les limites de cette vision confusionnelle des choses apparaissent clairement avec le cas Rachida Dati, actuel ministre de la Justice. Première femme issue de l'immigration maghrébine à occuper ce poste, elle y fut nommée par l'ancien maire de Neuilly-sur-Seine, non pas pour ses compétences ou son cursus, mais pour l'image qu'elle véhiculait.
A ce propos, l'hebdomadaire L'Express affirme, en cet automne 2007, que Rachida Dati aurait menti sur ses diplômes, précisément sur celui qui lui avait permis d'intégrer sur dossier l'Ecole normale de la magistrature.
Or, il se trouve que la fonction qu'elle occupe aujourd'hui est l'une des plus symboliques, l'une des plus lourdes et l'une des plus solennelles de tout gouvernement de la République. Elle exige évidemment de son dépositaire une exemplarité et une probité sans failles.
La Justice, dans le domaine pénal, a maille à partir avec la prison, la détention, impliquant des décisions qui influeront sur la vie d'êtres humains. Il s'agit parfois de la misère humaine la plus terrifiante. La privation de liberté est une décision gravissime et les conditions de la détention ont à voir avec la dignité humaine et les droits de l'homme. Le témoignage suppose une haute conception de la sincérité et de la vérité... Le jugement une impartialité et une sagesse maximales...
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C'est là tout le problème: Mme Dati ne semble pas disposée à incarner ces principes. La presse nous avait d'abord conté l'histoire convenue d'une pauvre gamine de banlieue provinciale, arrivant aux plus hautes responsabilités. C'était au moment de sa nomination.
Mais alors que Rachida Dati était entrée en fonction, que ses réformes étaient mises en branle, celle-ci choisissait de se montrer aux côtés du président, dans les tribunes des stades lors de matches de rugby, au gala de l'anniversaire de Christian Dior, dans les pages people de Paris-Match ou encore dans une émission populaire mettant en scène son intimité, familiale notamment.
Une femme "parvenue", amie intime de Cécilia Sarkozy, à l'aise dans le milieu des grosses fortunes et des "nouveaux riches" chère à cette dernière, se pavanant en robe de soirée Christian Dior, étalant aux yeux de tous un comportement et des fréquentations peu compatibles avec l'exercice et surtout la représentation du ministère de la Justice et du service public de la Justice, dont l'égalité d'accès est l'un des fondements... Cette image-là venait télescoper la garde des Sceaux qu'elle était devenue.
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Sur cette question, qui s'ajoute à des déclarations d'une maladresse inégalée de la ministre, à des réformes selon nous contraires à l'esprit du droit français voire à la séparation des pouvoirs, le couperet est tombé récemment des mains de Philippe Bilger, avocat général près la cour d'appel de Paris.
Dans une lettre ouverte, adressée à Rachida Dati, le 4 octobre 2007, postée sur son blog, ce magistrat, pourtant en accord avec le fond de la politique menée, fustige le comportement de celle-ci, lui rappelant les devoirs qui s'attachent à sa charge:
"Il est manifeste que si vous administrez le service public de la justice, si, d'une certaine manière, vous nous gouvernez, vous nous représentez aussi".
Philippe Bilger la met donc en garde contre la tentation de l'argent et des paillettes qui va à l'encontre de tous les principes régissant l'activité des magistrats et des juges:
"Vos apparitions sur la scène mondaine médiatisée. Il y a quelques jours, j'ai parcouru Point de vue et je vous ai vue. Pour ne rien vous cacher, mon premier sentiment fut d'étonnement. [...] Bernard Arnault donnait un dîner historique pour les 60 ans de Dior. Apparemment, la fête fut superbe et vous portiez une très belle robe longue".
Dénonçant aussi "cette immense part de mondanité et de publicité qui vous voit conviée en qualité de garde des Sceaux et offre une illustration de votre personnalité dans laquelle nous sommes évidemment partie prenante".
Philippe Bilger de fustiger "une vision clinquante, superficielle et ostensible [de votre vie mondaine médiatisée]" pour rappeler à la ministre que "votre fonction rend sans doute plus éclatant le hiatus entre le sérieux, la rigueur de la fonction et la futilité de ces manifestations où tout coule et se montre en surabondance".
Après ces rappels, après l'évocation du fossé existant entre la réalité de la Justice en oeuvre au service de tous avec la vie rêvée des jet-setters parisiens, cette question, d'une haute gravité:
"Les contentieux de luxe et les instances de pauvreté, cet immense et contrasté paysage judiciaire n'est-il pas, avec son intensité dramatique, trop lourd pour pouvoir supporter un garde des Sceaux qui s'adonnerait, sous notre regard de professionnels et de citoyens, à des incursions festives sans commune mesure avec la grandeur de sa charge et l'honneur de son métier?".
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Mais Philippe Bilger ne s'arrête pas aux faits et interroge les principes qui se cachent derrière, faisant retour sur la conception même de la Cité dont tout garde des Sceaux a le devoir de garantir la cohérence, l'ordre et la justice.
La séparation "laïque" entre le politique d'une part et l'économique d'autre part doit être préservée. Lointain écho à la disctinction émise il y a des siècles par Aristote lui-même, entre ceux qui servent la communauté faisant Cité, avec "vertu" et en menant de "belles actions" et ceux qui n'ont en tête que la "vie en société", désireux de l'emporter par "les richesses" accumulées.
Bilger d'enjoindre Rachida Dati de prendre ses distances avec une jet-set coupée du peuple au nom duquel et pour lequel la justice doit être rendue:
"Certes vous avez été magistrat mais vous connaissez et admirez les entrepreneurs, vous raffolez sans doute de l'esprit d'entreprise". [...] Reconnaissez qu'il y a dans le luxe massif quelque chose qui gêne, que la vulgarité suinte même des gens de distinction quand on a l'impression qu'ils ignorent ou méprisent ce qui se passe de l'autre côté de la rue, de la vie".
Situation inouïe, cocace ou tragique c'est selon, un magistrat bien intentionné, met respectueusement en garde son ministre face aux "pièges qu'induisent les fascinations de la modernité, du luxe et de la modernité"...
C'est peu dire de l'opinion que celui-ci s'est forgée de Rachida Dati...
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Comment combattre une telle dérive? La difficulté vient de ce que, comme "l'exception française" est mise à mort par l'adoption sarkozienne des pseudo-valeurs de la société de masse des travailleurs-consommateurs, l'exception politique de la Cité aristotélicienne est abolie par le primat mondial accordé à l'économique et à la finance.
De nouveaux idéaux envahissent la psyché contemporaine, en faisant appel aux instincts les plus vils de l'humanité: l'image narcissique de soi, l'étalage du luxe, le besoin de possession, la consommation sans fin... Et les plus pauvres, les plus démunis, si ces pseudo-valeurs s'imposaient définitivement, n'auraient plus qu'à rêver et à être fascinés par leurs représentants, cette nouvelle espèce d'hommes et de femmes, omniprésents depuis des décennies dans les télévisions, au cinéma ou encore dans la publicité.
"Dallas", "Dynastie", "Amour, gloire et beauté": des séries diffusées mondialement, avec l'objectif avoué de montrer à tous que "même les milliardaires ont la vie dure", "des sentiments", "des déboires sentimentaux", des difficultés... Faire rêver les masses, leur octroyer une part télévisuelle quotidienne de "fric" et de paillettes, tout en leur offrant le miroir de leurs propres "épreuves" sentimentales et pseudo-existentielles...
La laïcité, comprise comme séparation des ordres, ici économico-financier et politique, est donc frappée de plein fouet. Le mot même de "liberté" est perverti et identifié à la liberté de consommer et de travailler pour-pouvoir-consommer.
Résister à cela, garder une distance critique -au sens premier du terme- face à la marche du monde impliquerait que nos responsables politiques aient un minimum de culture proprement politique. Qu'au moins quelques-uns des fondamentaux de notre héritage gréco-romain et humaniste aient une signification pour eux, en leur for intérieur.
Ce n'est manifestement pas le cas. Le phénomène Rachida Dati, garde des Sceaux "people", n'est en fait qu'un appendice de cette faillite générale de la pensée politique française et bien au-delà. Forte du soutien "affectif" du président Sarkozy, lui-même inculte et fier de l'être, dont la carrière politique a démarré dans la ville-ghetto pour riches qu'est Neuilly-sur-Seine, dont la formation est celle d'un avocat d'affaires, Mme Dati peut participer pleinement de cette faillite.
Mieux même, partie de peu ou de rien, d'origine sociale défavorisée et maghrébine, Rachida Dati boucle la boucle. Elle cristallise à elle seule l'alliance relevée par Hannah Arendt entre "la foule et le capital", à l'époque du capitalisme triomphant du XIXe siècle finissant, cette fascination des bourgeois d'argent pour le caniveau, et réciproquement. "Parvenue", elle est l'illustration de la victoire totale, jusque parmi les immigrés et les défavorisés, des idéaux anti-politiques et amoraux de la société des faux-semblants, de l'accumulation et de l'étalage des richesses...
Dynastie
Vidéo envoyée par GREG1205
La "vie rêvée" des masses ou le lavage des cerveaux à l'échelle planétaire et durant des décennies, ici la série-culte Dynastie
Le détricotage de toute la culture politique européenne, de cette tradition souvent malmenée et pervertie, mais à laquelle on demeurait attachés notamment en France, et dont Aristote avait été l'une des pièces maîtresses, a de beaux jours devant lui... Sous la présidence Sarkozy en tout cas...
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