QUAND LE GOUVERNEMENT NOMME PAR M. SARKOZY DECLARE LA GUERRE AU FRANCAIS
L'Assemblée nationale a adopté, le 26 septembre 2007, le Projet de loi sur la traduction des brevets européens autorisant la ratification du Protocole de Londres, supprimant l'obligation de traduire les brevets d'invention européens en français. Enterrement de la langue de la République, dans le domaine clef de la science, défendu par Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la coopération et à la francophonie (sic)... Une décision historique dont il faudra se rappeler lorsque l'on évoquera la présidence Sarkozy.
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HÉLÈNE MERLIN-KAJMAN
"La promotion [du français] au rang
de langue publique accompagne la progression,
au XVIe siècle, de l'idée de "public" [...].
Écrire en français plutôt qu'en latin
représente aux yeux des lettrés une action
doublement menée en faveur du peuple; [...]
l'entité juridico-politique comprenant tous
les membres des trois ordres du royaume".
La langue est-elle fasciste?,
Langue, pouvoir et enseignement
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La langue parlée mais aussi écrite, depuis que les Grecs anciens ont décidé d'écrire comme l'on parle, en introduisant les voyelles dans leur alphabet, revêt une dimension collective, commune et publique qui, depuis lors, lie le logos à la démocratie et à la "chose publique".
Que la langue écrite soit à la portée de tous, et non plus confisquée par une classe fermée de scribes ou de savants, telle est la révolution qui ouvrit la possibilité du politique, encadré par des textes fixés, telles les Constitutions, puis tissé par le débat d'opinions, la conflictualité policée par le logos, la confrontation de visions plurielles dans la Cité, de "projets", disons-nous de nos jours.
"Démosthène s'exercçant à la parole", symbole de la liberté politique dans la Grèce antique. L'affrontement par les mots lors du débat télévisé opposant Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy clôturant la campagne présidentielle française de 2007
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Comme le rappelle Hélène Merlin-Kajman dans un ouvrage brillant, "La langue est-elle fasciste? Langue, pouvoir et enseignement", la langue a une dimension collective, publique, et in fine civique indispensable à la constitution d'une communauté politique, d'une république et de surcroît d'une démocratie!
C'est tout le sens, selon, elle de l'ordonnance de Villers-Cotterêts, qui "s'inscrit dans ce mouvement qui tend à faire du royaume une chose publique, et non plus seulement un domaine sous domination mi-féodale, mi religieuse".
Signée entre le 10 et le 16 août 1539 par le roi François Ier, elle imposait le français comme langue exclusive pour les documents relatifs à la vie publique -et non comme langue unique sur le territoire national, comme le veut la légende noire antijacobine colportée par les chauvinistes bretons, occitans, basques ou corses.
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La montée de l'illettrisme chez les jeunes français, l'invasion des fautes d'orthographe -notamment dans le langage des mini-messages téléphoniques-, la multiplication des barbarismes et des bévues grammaticales dans une publicité cacographique omniprésente mais aussi l'intrusion de l'anglais dans les vocabulaires technologiques, économiques et même culturels posent donc des questions qui touchent aux fondements mêmes du "vivre-ensemble", au sein d'une même République dont la Constitution pose en son second article, consacré à la souveraineté, que sa langue est le français.
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La langue, symbole et support tout à la fois de revendications politiques, ici le chauvinisme flamand en Belgique
Le rôle politique joué par les revendications linguistiques de tous les mouvements séparationnistes, corses, bretons en France, catalans, basques en Espagne et, actuellement flamands pour ce qui est de l'Etat belge corroborent cette analyse.
Kajman de s'interroger: "Qu'arrive-t-il au langage, à la vie civile, à la politique, lorsque la langue dite classique se trouve désavouée par [...] la majeure partie des instances sociales?". C'est la question qu'il faudrait poser aujourd'hui au gouvernement et même à l'ancien maire de Neuilly-sur-Seine et actuel président de la République.
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La science, vu le degré de complexité qu'elle a atteint au cours des siècles, est déjà hors d'atteinte du lecteur lambda... Faut-il pour autant que les brevets d'invention d'origine française puissent désormais ne plus être déposés en français, comme le préconise le protocole de Londres?
Le rayonnement scientifique et le génie inventeur de la France n'intéressent-t-il plus nos dirigeants?
Le risque d'un décrochage du français des avancées de la science, dans un monde où l'anglais est largement prédominant n'est-elle qu'un détail?
Qu'en est-il de la pluralité des langues et de tout ce que chacune peut apporter à la grande entreprise de la science?
Pourquoi saborder nous-mêmes la possibilité de promouvoir un français déjà affaibli à chaque fois que possible?
L'actuel gouvernement pense-t-il que la langue doive perdre ce caractère civique indispensable pour une République démocratique?
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Si cet abandon du français a été prôné et voulu par le secrétaire d'État à la Francophonie (sic), Jean-Marie Bockel, socialiste fasciné par le libéralisme anglo-saxon et débauché par M. Sarkozy, il est piquant de noter que ce secrétariat d'État est placé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, lui-même ministre de la pseudo-ouverture sarkozienne.
En effet, M. Kouchner avait commis un ouvrage intitulé "Deux ou trois choses que je sais de nous", dont un chapitre était lui-même intitulé:
"L'anglais, avenir de la francophonie"...
Outre ce titre qui laisse pantois et dont "l'effet provocation" probablement voulu est vain, des passages de ce livre éclairent mieux l'empressement de M. Bockel à enterrer la langue de Molière vu le mépris affiché par son ministre de tutelle pour celle-ci:
."Nouveau venu dans le gouvernement de la République, j'avais été étonné, en 1988, que l'on insistât sur l'usage obligatoire du français pour les ministres".
."Après tout, même riches d'incomparables potentiels, la langue française n'est pas indispensable: le monde a bien vécu avant elle. Si elle devait céder la place, ce serait précisément à des langues mieux adaptées aux besoins réels et immédiats de ceux qui la délaisseraient".
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Ces dernières citations prouvent, si besoin en était, les accointances idéologiques entre un Kouchner et un Sarkozy, pour qui le politique n'a qu'à se mettre au service de l'économique.
La langue commune, le logos comme patrimoine collectif, culturel, philosophique et support civique d'une voix singulière dans le monde comme d'un espace public n'intéressent pas la "nouvelle droite sarkozyste".
Pour le ministre des Affaires étrangères nommé par M. Sarkozy, le français doit donc laisser la place "à des langues mieux adaptées aux besoins réels et immédiats", à savoir à ceux de l'économie globalisée.
C'est un fait, et non une position de principe idéologique ou un préjugé, un certain anglais, certainement pas celui de Shakespeare, est, pour des raisons historiques, la langue dominante -comme le français l'était au temps de sa prédominance politique en Europe voire dans ses colonies-, avec tous les dangers attenants à cette position de supériorité.
Admettre ce fait n'a rien à voir avec l'anti-américanisme ou l'anti-impérialisme sectaire... Précision utile.
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Comme le rappelait le professeur au Collège de France, au Monde le 18 septembre 2007, Claude Hagège, l'abandon du français pénalisera les petites et moyennes entreprises du pays alors que les grandes firmes maîtrisent et usent déjà de l'anglais.
Elle pourra poser des questions gravissimes dans le monde du travail, quand on utilisera des appareils, des robots dont les notices d'explication ne seront plus traduites en français.
En 2005, à l'hôpital d'Épinal, la mauvaise interprétation par les personnels du mode d'emploi d'un logiciel en anglais a provoqué la mort de patients surirradiés.
Et M. Hagège, linguiste amoureux polyglotte des langues, d'expliquer qu'à terme:
"Un vaste programme de domination revêt aujourd'hui le masque de la domination, comme l'admettent crûment certains industriels outre-Atlantique. Dès lors, la francophonie, en attendant le renfort de nouvelles volontés géoculturelles et économiques (hispanophone, lusophone, arabophone, russophone, turcophone), est, face à l'anglophonie, le seul autre projet mondial, avec des idéaux distincts".
La carte de l'Organisation internationale de la francophonie
Une carte des pays de langue anglaise
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Si la réflexion de M. Hagège sur les enjeux de la francophonie, si le lien multi-séculaire entre la langue commune et la "chose publique", si les analyses de Mme Merlin-Kajman sur les dangers de l'abandon de la langue classique sur le lien social et civique, si toutes ces réflexions vont contre la signature du Protocole de Londres, il est navrant de constater que, sous la présidence de l'ancien maire de Neuilly-sur Seine, M. Sarkozy, c'est le secrétaire d'État à la francophonie lui-même, M. Bockel, qui milite pour cette signature de l'abandon du français dans le domaine de l'innovation. En attendant,
vous pouvez signer la pétition en ligne:
-Contre le protocole de Londres:
http://www.lapetition.be/sign_petition.php?petid=217